LE RÉCIT DE LOU - PARTIE DEUX.

- Marjolaine Ferron

LE RÉCIT DE LOU - PARTIE DEUX.

À peine quelques heures plus tard, on préparait notre petit Lou pour sa chirurgie. Promis, c’est loin d’être facile pour les parents fatigués et tracassés d’accepter que son enfant doive subir de tels défis sur une toute petite table d’opération, très très loin dans les bras de Morphée. Parce que oui, j’ai l’impression que l’endroit où on guérit les bébés de 6 semaines en les endormant beaucoup, c’est minuscule. J’image une toute petite table si froide, en «stainless» mettons.

Pour nous (trois), le moment préopératoire a été éprouvant. Prises de sang, vidange de l’estomac du petit homme par tube naso-gastrique, crises qui crèvent le coeur et plusieurs manipulations jusqu’à ce qu’on rencontre son futur chirurgien au bloc opératoire. Un grand homme, sensible & stoïque. Ça sautait aux yeux. On était en confiance, même si les heures qui ont suivies ont été profondément stressantes. Après nous avoir enseigné la gymnastique de l’opération, c’était les anesthésistes qu’on rencontrait autour du lit mobile de Lou. Notre garçon au tout milieu de son grand lit à barreaux, roulant vers l’inconnu. Les scientifiques de l’endormissement des bébés ont répondu à mes inquiétudes de maman-un-peu-freak : «Je n’ai jamais pris de Tylenol pendant la grossesse, ne lui donnez pas trop de sédation, j’ai peur qu’il ne se réveille pas». Promis, ils savent gérer les parents.

C’était le moment d’embrasser-fort Lou, de lui dire qu’il serait de retour rapidement. Qu’on avait déjà si hâte de le retrouver, mais qu’il prenne son temps.  Et on a regardé les portes se refermer derrière son grand lit roulant. Nous on pleurait, pas Lou.

Et ça a été l’heure la plus longue de toute ma vie. Entourée de nos parents, on essayait tant bien que de mal de se faire sourire les idées. Bizarrement, j’avais des angoisses qui n’avaient aucun sens, des appréhensions que je n’ose même pas nommer ici. Que ma mère saura.

C’est quand j’ai vu les portes s’ouvrir sur le médecin que mon esprit a cessé de se tenailler (et que mon cœur a sauté un battement). Ses premiers mots : «il va bien». Respiration. Il nous a expliqué la complexité du pylore de Lou. Son petit muscle était tellement dense qu’il a eu besoin de doubler de prudence (et d’ardeur) lors de l’incision, expliquant les quelques minutes de plus à l’intervention. Il nous a même confié qu’en 30 ans de service, c’était la première fois qu’il opérait un pylore comme celui de notre bébé (vous savez, Lou & les statistiques?!). On s’en sortait avec un petit gamin déjà en salle de réveil et un médecin plutôt impressionné par ce qu’il venait de voir. Il allait bien, c’est tout ce qui comptait.

On l’a retrouvé dans une grande pièce toute blanche quelques minutes plus tard. Il était libre de tuyaux, tubulure et de sonde respiratoire, accompagnée d’une douce à sarrau qui ne le quittait pas des yeux tout au long de son réveil. Oui, tous (je crois) les bébés qui passent par une anesthésie générale doivent être «intubés» durant l’intervention. Par la douleur que représente une intubation trachéale, ils attendent que le tout petit soit endormi avant de lui insérer la sonde à l’intérieur de la trachée, passant par la bouche ou le nez, allant jusqu’à ses poumons. C’est un outil pour permettre à l’équipe médicale de contrôler les voies aériennes de Lou. Et cette journée-là, on avait eu la chance de ne pas voir notre fils intubé.

Peu après, on nous amenait dans une chambre pour la rémission de Lou. Notre maison pour les heures qui suivaient. Déjà, l’effervescence de l’hospitalisation se faisait sentir. Les infirmières passaient nous voir pratiquement toutes les heures du jour et de la nuit, nous enseignant le protocole de réalimentation et prenant les signes vitaux de Lou aux 4 heures. On lui donnait à boire, millilitre par millilitre, selon un plan bien établi par l’équipe de chirurgie pédiatrique. Au fil des visites du personnel médical, on apprenait les chiffres par cœur. Son pouls, sa saturation, sa température, sa pression… Et bien vite, on a compris que post-chirurgie, les chiffres trop hauts ou trop bas étaient rapidement pardonnés. La nuit a été éprouvante. Lou était irritable, pleurait énormément et il avait fait de la fièvre. «Oui, mais c’est normale post-chirurgie». Oui, mais non.



Et le lendemain, c’était le 18 novembre. Le fameux, l’indésirable. Un jour record dans mes pires depuis 25 ans. Juste d’écrire ce qui se dessinait pour nous, mon cœur s’emballe. Un peu comme celui de Lou ce matin-là, mais c’était normal post-chirurgie… Le matin, son chirurgien est passé l’examiner, Lou allait bien cliniquement. Clairement, c’était les parents qui gagnaient le prix des plus fatigués.

Au diner, on a décidé de quitter la chambre pour la première fois, laissant Lou à ses précieux grands-parents dans notre petite chambre orangée. Repas romantique à la cafétéria qui signait ma première (& seule, pas peu fière) crise d’angoisse de toute l’aventure. Un peu inexplicable, mais j’ai l’habitude dans l’inexplicabilité des inquiétudes. Et de toute façon, ça aussi, ça devait être normale post-chirurgie, non? On est sortis prendre l’air, se partager nos soucis en les laissant se prendre dans le vent froid de novembre. C’est à notre retour à la chambre qu’on a vu que ça n’allait pas. Avec des yeux rassasiés, c’était plus clair. On a remarqué le teint gris-bof de Lou, malgré le reflet chaud des murs de sa chambre. Il était plus qu’épuisé. J’écrirais qu’il était «léthargique», mais ça me fait trop mal. Aussi, le bruit s’était accentué. Ce petit bruit qualifié de «presque-sanglot» par l’infirmière. «C’est comme s’il n’avait pas envie de pleurer pour vrai, il est épuisé par ce qu’il a vécu, c’est normal.» Quand j’y pense, j’ai mal. Aujourd’hui, je suis capable de vous dire que c’est le son le plus traumatisant que j’aurai entendu de toute ma vie. Un bébé trop fatigué pour pleurer. Voyons.

C’est son père qui a choisi de le développer, de le désemmailloter. Il a touché son ventre et j’ai senti la détresse. Son ventre était un ballon de basket, dur comme jamais. Il ne pleurait plus, il était complètement amorphe. Il mourrait. J’ai crié.

Je n’ai jamais eu peur comme ça de toute ma vie. Je la sentais cruellement l’urgence. J’ai crié à l’aide, alors que le reste de la famille restait près de Lou. Personne ne venait, j’ai vu noir. J’ai cogné au petit local des infirmières violemment. Je pleurais, mais aucune larme ne s’écoulait, que des sons de détresse s’écoutaient.

Notre infirmière est venue l’examiner en courant. Elle s’est exprimée en anglais : «Oh no, I don’t like that». Mon cœur s’est arrêté. Entre ce moment-là et 10 personnes autour de Lou, je ne peux pas vous raconter. Mon cerveau a oublié jusqu’à l’arrivée du grand homme, notre chirurgien. Il a émis un diagnostic en 3 secondes, question de lui laisser le plus de temps possible pour déblatérer son plan d’action aux infirmières, un ordre à la fois : «C’est une fuite, on me prépare le bloc opératoire d’urgence.» Et la chambre de Lou est devenue une véritable ruche où on sentait toute l’urgence du monde, où on voyait le nuage noir au-dessus du mini lit de Lou. Les abeilles s’affairaient : prises de sang, vidange de l’estomac, multitudes de tests. C’était trop long. Je les suppliais : «Partez, allez le sauver!».

Je suis allée rejoindre l’amoureux démoli à la fenêtre de l’unité. On a pleuré notre inquiétude. J’ai appelé ma sœur : «Dis-moi qu’il ne va pas mourir».

Plusieurs minutes après, on courait derrière le lit à barreaux de Lou. Arrivé au bloc opératoire, je retrouvais le regard doux, mais tellement inquiet de son chirurgien. On s’est échangé quelques mots jusqu’à ce qu’une infirmière nous interrompre : «Docteur, les lactates sont à 7». Un Xe chiffre échangé entre personnels médicaux que je ne comprenais pas. Il s’est retourné vers moi et m’a dit : «Maman, il y a une possibilité que Lou doive se réveiller aux soins intensifs. Je dois absolument y aller». Je me suis retournée vers notre bébé. Il était encore entouré d’une équipe impressionnante, aux yeux remplis de compassion. Eux savaient.

On n’a pas pu dire au revoir à Lou, cette fois-là.


Par Marjolaine Ferron


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