LE RÉCIT DE LOU - PARTIE SEPT.

- Marjolaine Ferron

LE RÉCIT DE LOU - PARTIE SEPT.

C’est dans ce chapitre-ci qu’on a retrouvé le soleil. À ceux qui avaient aussi soif de le ressentir que nous, bonne lecture.

Bien sûr, on avait eu droit à deux jours moyens à la suite de sa grande chirurgie. Après quatre fois, on commençait à avoir l’habitude de l’état post-interventions-chirurgicales sans fièvre à l’abri. Ça nous inquiétait moins, mais ça nous pesait toujours autant. Un petit bébé souffrant, chaque fois, ça tord l’esprit et ça froisse le coeur. Il y avait les médicaments pour lui apaiser le ventre, le corps, les drains, les tubes et les inquiétudes du délirium neurologique. On avait essayé la morphine au tout début de la tempête, ça n’avait pas été. En plus des antibiotiques contre les collections, on faisait donc couler du dylaudid, de la dexmétédonidine et un soluté dans ses veines pour l’alimenter. Pendant quelques heures, on a continué le lasix qui l’aidait à évacuer les liquides qu’il recevait en quantité impressionnante.  On avait eu besoin de la kétamine en milieu de parcours et on comptait sur des doses de fentanyl pour calmer son écoeurantite lors des atroces conquêtes aux sécrétions de son respirateur. Je me souviens qu’au pire de l’ouragan, il y avait 12 pousse-seringues qui infiltraient mon bébé. Je crois qu’il n’y a pas un jour sous l’orage où je n’ai pas demandé aux infirmières de réduire les doses, mais Lou n’était pas prêt.

Justement. J’ai l’impression qu’à la suite de ce grand risque du 4 décembre, tout s’est enfin précipité. On avait finalement le sentiment que Lou remportait son combat. Quelques jours après l’opération, on a pu procéder au retrait de quelques tubes, drains & sondes, mais surtout, surtout à l’extubation, la vraie. Cette fois, c’était la bonne. Lou avait impressionné. Il avait eu besoin d’une lunette nasale quelques heures pour s’habituer doucement à notre air et enfin, on respirait pareil. Juste de lui voir le nez dégagé, les joues libérées, on était aux anges. On a retrouvé nos bisous-de-bonne-nuit sur les joues, ils sont devenus nos bisous-de-tout-le-temps, le plus souvent possible. Je crois que ça lui a fait autant de bien à lui qu’à nous. Son état nous permettait aussi la visite des Dr Clowns pendant les changements de pansements. Leurs mélodies apaisaient le coeur de Lou. Et les nôtres aussi.

On vivait des heures précieuses, où Lou reprenait du mieux, tant par son examen clinique que ses résultats sanguins. Bilan qu’on collectait toujours chaque matin. Les chiffres s’assouplissaient, rassuraient. Tellement, que les médecins lui ont prescrit un sevrage de médicaments. Oh, le tant désiré. Ça sonne facile & rassurant, mais promis que c’est toute une science. C’est orchestré par le pharmacien des soins intensifs, autre héro de l’histoire de Lou qu’on a profondément apprécié. Il connaissait son art du bout des doigts. Des noms aux 30 lettres en passant par l'interaction entre eux, jusqu’aux effets de chaque médicament, il savait tout par coeur. Il a pris le temps de nous expliquer ce qu’était un véritable sevrage de narcotiques, sur un aussi petit bébé que le nôtre. Il nous préparait. On s’attendait à des jours, des semaines ardues. On ne devait pas quitter Lou des yeux, on «scorerait» ses indices sur une échelle de «sevrage trop intense» à «on pourrait aller plus vite». Mais c’est assez rare qu’on puisse accélérer un processus comme celui-là, parce que diminuer les doses de drogues aussi dures sur un bébé aussi petit qui en avait reçu pendant autant de temps, ça frappait. On l’a constaté par les pupilles dilatées et les crises accentuées. On a même dû ralentir le ralentissement, mais sans stagnation. Chaque jour, on diminuait le nombre de remèdes reçu dans le corps de mon tout petit, même si ce n’était que 0,1 ml de moins chaque 12 heures.

Et il y a eu notre sevrage à nous.

Ça faisait aussi quelques jours qu’on nous y préparait, mais cette fois, c’était brutal. Parce que Lou reprenait doucement le dessus, les médecins jugeaient qu’il avait besoin de moins en moins de surveillance. C’est vrai : on était maintenant à une infirmière pour deux patients. Infirmière qui selon les instructions des docteurs, devait fermer tous les écrans de la chambre de Lou, nous privant des signes vitaux de Lou et des graphiques qu’on regardait chaque seconde. Ouch, promis. Ça faisait des semaines qu’on savait comment il allait par ses battements coeur ou son taux de saturation. On savait s’il pleurait avant même de l’apercevoir, son rythme respiratoire s’accélérait. On savait s’il avait mal avant même de vérifier son expression, son pouls se lançait vitesse grand V. Tout ça, grâce à des écrans. Qu’on venait d’éteindre. Ça sonne certainement étrange pour des parents qui n’ont jamais vécu dans une chambre des soins intensifs, mais j’ai été prise de vertige pendant les premières heures. À son premier froncement de sourcils, je suis allée chercher l’infirmière : «Il a mal, il ne sature probablement plus bien!» Elle, qui avait toujours droit à son écran isolé, lisait l’insécurité d’une maman à la conquête de son instinct bien loin caché, plus qu’un mal-être de bébé. J’ai eu besoin de la travailleuse sociale pour retrouver mes repères. Cette fois & bien d’autres aussi.

À travers notre remise en fonction de parents ébranlés, on avait reçu la visite des immunologues. Oui, je pense qu’on a rencontré 80% des départements de l’hôpital, mais cette fois, je me confie : j’étais complètement à bout. Toujours aux soins intensifs de Sainte-Justine, on avait peine à se relever de la plus grande bataille de notre vie, qu’on nous expliquait qu’il fallait soumettre Lou à des tests de dépistage et d’examens. Tout ça, pour

Vérifier s’il était porteur de l’une des 200 maladies immunitaires citées dans un dépliant jeté. Eux, ils voulaient comprendre la «longue» rémission de Lou. J’avais l’impression tordue qu’on creusait juste, qu’on voulait simplement trouver. J’en avais assez, pour moi il n’y avait qu’une explication. Je les suppliais : «Arrêtez de chercher, Lou a vécu le plus violent choc septique. Il avait du lait jusqu’à ses orteils, ça lui a presque coûté la vie! On ne peut pas guérir en deux semaines.» (Je poétise un peu, je n’avais pas été gentille - je leur avais même demandé s’ils auraient fait mieux. Un peu pardon.) Pardon, parce qu’aujourd’hui, je suis immensément reconnaissante envers l'hôpital d’avoir bousculé l’immunologie dans notre dossier. C’est grâce à leurs nombreux tests qu’on sait maintenant que les soldats du corps de Lou se battent bien. Qu’aucune maladie auto-immune ne menaçait son petit corps. Merci la vie & merci à vous.

Et pour tout ça, on a pu réduire graduellement l’alimentation par les veines par soluté en intégrant le lait. Je me souviens d’avoir regardé les bouteilles de «Bon départ» au poste de l’infirmière et d’avoir dit à l’amoureux : «Lou va boire du vrai lait!». Mais encore, ce n’était pas tout de suite si simple. Après presque 5 semaines à recevoir des nutriments par le trou dans son bras, Lou ne savait plus boire. Il fallait donc lui réapprendre, et ça non plus, ça ne se fait pas en criant ciseaux. À tous les trois heures, on essayait quelques millilitres à la fois avec ses biberons préférés. Je le prenais sur moi, comme une vraie maman. Pour compléter, on utilisait un levine (c’est un tube qui passe de son nez à son estomac). Il fallait le «gaver», terme doucement détesté par la famille, utilisé par les intensivistes. On était soutenu par la physiothérapeute et l’ergothérapeute. Deux conciliantes qui nous proposaient des exercices importants et qui intégraient chacune des infirmières dans le plan de réhabilitation de la bouche de Lou. Du dévouement.



Après 11 jours post-dernière-chirurgie, on a reçu notre congé des soins intensifs pour nous rendre à l’étage. Après presque 5 semaines à cette deuxième maison de Lou, on sentait que c’était le temps de se déchirer de notre famille médicale. Celle qui nous a permis le premier sourire de Lou. Je me souviendrai toujours de ce matin-là, quelques jours avant notre départ. L’une de nos préférées protectrices avait installé l’immense balançoire de Lou au tout milieu de son lit à barreaux. Il y était installé, au presque-bout de ses fils. Elle avait aussi mis les bonhommes à la télé, «parce qu’elle ne voulait pas qu’il s’ennuie» du haut de ses 9 semaines. On était ravis comme il était content. Quand on s’est approchés, larmes & sourires de bonheur au visage de ne plus le voir alité, attaché, il nous a rendu la pareille. Petite magie.

Parce que le pharmacien avait modifié la gymnastique de la médicamentation, tous les narcotiques de Lou se prenaient maintenant par la bouche. On pouvait dire adieu aux pousse-seringues, plus aucun fil ne nous retenait à l’étage critique. Quand on a présenté la nouvelle chambre de Lou, il ne recevait que du dylaudid et de la clonédine (un remplaçant de la dexmétédonidine qui pouvait se prendre par la bouche) en doses orales plusieurs fois par jour. Il avait aussi toujours son levine qui lui permettait de compléter son alimentation «biberonée». On avait préféré lui laisser son Picc Line dans son bras pour éviter de le piquer à chaque prise de sang. Parce qu’on continuait de surveiller l’état des fameuses collections en périphérie de son foie et de sa rate à coup d'échographies et de bilans sanguins.

Le sixième étage. Même s’il nous était familier par notre premier passage post-chirurgie-numéro-un, ça a été l’une de mes plus grandes adaptations de toute l’aventure. On passait d’une infirmière (ou deux) pour un patient, à une ressource pour sept enfants (ou dix, la nuit). Si on n’avait pas renoué avec l’instinct parental à ce moment-là, il nous frappait en plein visage. Le canal de communication entre les différents intervenants de Lou s’était rouillé trois étages plus haut. Le personnel n’était pas toujours au courant des recommandations des médecins ou des rendez-vous à prévoir. C’était profondément angoissant. À nous deux, on a donc décidé de devenir les infirmiers qu’on avait observés pendant le mois précédent. On s’était fabriqué notre propre dossier de Lou. On notait tout, des couches pesées aux millilitres de lait reçu, jusqu’aux doses de médicaments attendus. C’est la Clinique de la Douleur qui avait repris le flambeau du sevrage. C’est avec eux qu’on modifiait les 0,1 ml en diminution de la médication de Lou, au rythme de ses crises & sourires. On exigeait une copie-papier du nouveau plan, chaque fois. C’était trop sérieux. On demandait aussi à chaque infirmière de nous montrer les seringues de narcotiques avant de les vider dans la bouche de Lou, juste pour s’assurer. Ça peut paraître excessif, mais on avait notre lot de complications. D’ailleurs, on a dû intercepter l’une des dévouées parce qu’elle allait donner une dose de dylaudid à Lou, alors qu’il venait à peine d’en recevoir une des mains d’une autre infirmière. Les erreurs sont profondément humaines, mais c’était assez. Encore, on préférait l’implication à l’impuissance.

Et le 23 décembre, c’était congé du CHU Sainte-Justine pour notre famille, à condition de refranchir les portes de l'hôpital 4 jours plus tard. Après avoir cessé l’antibiotique qui avait aidé Lou dans l'éradication des collections qui diminuaient d’ampleur, c’était presque la fin de la tempête pour nous. Malgré un indice infectieux un peu plus élevé ce matin-là, les infectiologues se sont rangés du côté des intensivistes bien sûr, des chirurgiens, de la stomothérapeute, de la physiothérapeute, de l’ergothérapeute, de la nutritionniste et des immunologues pour nous renvoyer à la maison, où on terminerait le sevrage dans les semaines qui suivaient. Quelques jours avant Noël, on quittait l'hôpital avec enfin, une coquille et un bébé.

J’aimerais vous décrire les sentiments qui nous grondaient cette fois, mais j’en suis incapable. C’était fort et mélangé. Totalement brouillé. Quand j’y pense, je frissonne encore. Si vous saviez comme on a pleuré ce jour-là. De joie, d’inquiétude, d’épuisement. Parce qu’après avoir passé plus de la moitié de la vie de Lou à le maintenir et à nous soutenir à Sainte-Justine, on y croyait difficilement. Cette fois, on quittait le stationnement souterrain avec un bébé qui buvait et respirait tout seul.

Et c’est à notre sortie, quand j’ai enfin vu le soleil que j’ai remercié la vie d’avoir mis sur nos chemins le plus grand combattant de nos vies.

À mercredi, pour la conclusion du récit de Lou.


Par Marjolaine Ferron


La dernière partie du récit de Lou, c'est juste ici.